Les élections européennes du 25 mai 2014 se présentent dans des perspectives paradoxales. Le malaise croissant autour du projet de l‘Union Européenne (élargie hâtivement à 28 membres) et la crise de croissance persistante de la zone €uro n’ont d’égal que les mauvais sondages, qui annoncent une forte poussée des eurosceptiques, si ce n’est la victoire de l’abstention des citoyens déçus. On verra que l’horizon communautaire reste désespérément bouché.

Il semble indispensable, en la circonstance, de rappeler les prémonitions fondamentales énoncées par Salvador Dali à propos du devenir de l’Europe. En effet, le peintre-visionnaire a laissé des images angoissantes, résumées par le concept paranoïaque-critique bizarre de «L’Enlèvement d’Europe», qui est synonyme de ruptures !

1° L’élargissement de l’Union Européenne.

Permettez-moi d'évoquer une histoire révélatrice peu connue. L’adhésion de l’Espagne à la Communauté Européenne avait donné lieu à un scénario cocasse, dont Salvador Dali fut, bien malgré lui, le pivot divinatoire. L’adhésion était programmée pour le 1er janvier 1986. A l’occasion de l’acte de la signature, le gouvernement espagnol de Felipe Gonzalez recevait à Madrid les délégations des douze Etats membres de la CEE. Dans le but d’épater ses prestigieux invités, l’Espagne, économiquement faible, avait sollicité son plus célèbre artiste vivant pour signer une œuvre artistique destinée à mettre en valeur les atouts culturels du nouvel adhérent. Le 12 juin 1985, tous les représentants européens se sont vu remettre une reliure luxueuse comprenant, en plus des textes institutionnels, une œuvre iconographique signée par Dali.

En fait, ces précieuses planches n’avaient rien de sensationnel, puisqu’ elles reproduisaient les gravures très approximatives de la «série Torero» illustrant des séquences sanglantes de combats et d’affrontements, en plus d’une «Tête d’Europe », tuméfiée et mal léchée. Certes, Dali, âgé de 81 ans, était usé. Les figures de son cadeau pictural devaient susciter du plaisir. A la réflexion, elles ont fini par engendrer de l’épouvante.


Le cadeau européen de Dali, offert aux délégués de la CEE (Madrid 1985)

Car on a compris plus tard que l’élargissement de l’Union, bâclé, allait causer de graves problèmes de déséquilibres et de dysfonctionnements entre les Etats membres disproportionnés. En Grèce, la stratégie de Bruxelles a atteint ses limites.

2° L’enlèvement topologique d’Europe.

Dès 1983, Dali avait donné à la question européenne des projections graphiques, dont on a fini par saisir la portée géopolitique. Sa stupéfiante «Série des Catastrophes» est le fruit tardif de l’intense bouillonnement paranoïaque-critique d’un peintre épuisé, rongé par la maladie et saisi par le doute depuis la mort de Gala, disparue en 1982. Parmi ces toiles chaotiques de facture médiocre, la composition de «L’Enlèvement topologique d’ Europe» se distingue par une étrange similitude avec le tracé tourmenté de l’autoroute E 15 (ou A 9), qui mène de Perpignan à Narbonne à travers le passage géographique étroit de 66600 Salses.


L'Enlèvement topologique d'Europe (Dali, 1983)

Cette importante voie de communication autoroutière – appelée «la catalane» – relie l’Union Européenne à l’Espagne, dont on sait aujourd’hui qu’elle fait partie des nations sinistrées de l’Europe du Sud. La cicatrice picturale inscrite par Dali dans son énigmatique tableau est devenue le signal prémonitoire d’une profonde blessure communautaire, suscitée par la crise économique et financière. Dont acte.

3° Le flair de Dali se confirme.

Les noms et les codes de la signalétique dalinienne ont trouvé une justification à travers des événements anecdotiques, qui ont marqué l’histoire récente de l’Union Européenne. Le scénario prophétique de Dali a connu à deux reprises une illustration patronymique éloquente, qui confirme la précision historique du mystérieux flair extra-lucide du visionnaire catalan.

Quand le 1er ministre tchèque Mirek Topolánek, président (eurosceptique) du Conseil des chefs d’Etat de l’Union européenne, fut débarqué brusquement à Prague en mars 2009 à la suite d’une motion de censure du parlement, on a su que l’enlèvement topologique de Dali était bien le fait d’une prescience exacte. Et lorsque le maltais John Dalli, commissaire européen chargé de la Santé, annonçait le 2 mars 2010 à Bruxelles qu’il autorisait la culture de la patate transgénique Amflora, j’eus la certitude que la Gare de Perpignan était bien la vitrine révélatrice d’une future révolution pastorale.

22 mai 2014

Info : Roger Michel Erasmy, auteur du «Codex Dalianus» (Dali décodé) depuis 1984