La grave crise en Ukraine apporte au symbolisme prémonitoire du visionnaire catalan de nouvelles certitudes. L’affrontement sanglant du 22 février 2014 de Kiev entre les manifestants et les forces de l’ordre fut le déclic brutal d’ une crise politique, qui durait depuis cinq ans. Les 80 morts de la place Maïdan ont entraîné la destruction d’une dizaine de monuments à la gloire de Lénine. Le président Viktor Ianoukovitch a fini par fuir chez ses alliés traditionnels de Russie. Vladimir Poutine en profitait pour mener une intervention militaire en Crimée, à l’est de l’Ukraine.

Les Européens et les USA furent déroutés par la stratégie de Moscou, déclenchée sur fond de propagande et de désinformation en renouant avec la dialectique de la guerre froide. Il s’agit de la pire crise depuis la chute du mur de Berlin en 1989. En 1991, l’effondrement de l’Union soviétique avait laissé une Ukraine certes indépendante, mais profondément divisée entre ses relations particulières avec son encombrant voisin, la Russie, ou une association avec l’Union européenne. Les tractations avec Bruxelles trainaient depuis cinq ans. La signature était imminente, quand Kiev suspendait les négociations le 21 novembre 2013. La vague des manifestations qui s’ensuivait à Kiev fut violemment réprimée.

L’Enlèvement d’Europe se reproduit en Ukraine.

Une nombreuse foule des protestataires réclamait la signature de l’accord avec l’Union Européenne, alors que le président Viktor Ianoukotvitch, réélu en 2010 sur des promesses pro-européennes, changea soudain d’avis en se prononçant en faveur de la Russie. Face à cette trahison, les ukrainiens de l’ouest réclamèrent un changement de régime. La révolte sociale reposait sur deux lignes de fracture : le départ du président corrompu, Ianoukovitch, et le rejet de l’influence russe. Il faut savoir aussi que le président russe Vladimir Poutine rêve, en despote géostratégique, d’une grande union eurasienne (copie conforme de l’ex-Union soviétique), dans laquelle l’Ukraine (44,6 millions d’habitants) constituerait un enjeu essentiel.

Le «Lénine» de Dali : Vitali Klitschko dans le rôle de Guillaume Tell

Voilà que le symbolisme révélateur de Dali retrouve soudain un nouvel éclat divinatoire : Le concept de «L’Enlèvement d’Europe» énoncé par le visionnaire catalan s’affirme en la circonstance comme un nouvel constat d’impuissance de l’Union des 28 face à l’échec de l’ association pro-européenne. La figure étrange de Lénine dans «L’Enigme de Guillaume Tell» (Dali 1933) met en scène un rebelle politique. La toile représente Lénine déculotté à genou devant la tombe de Guillaume Tell. En fait, Dali a voulu stigmatiser son père dominateur. Ramené au récit légendaire du héros national helvétique de 1307, il convient de retenir l’image de l’audacieux franc-tireur, qui luttait contre l’oppresseur autrichien.

"L'énigme de Guillaume Tell" (Dali, 1933)

En Ukraine, Guillaume Tell trouve en 2014 dans la figure populaire du champion de boxe Vitali Klitschko un valeureux sosie, résolument opposé à une nouvelle domination russe. Le charismatique opposant a été reçu le 7 mars par François Hollande à l’Elysée ! Dans «L’Enigme de Guillaume Tell» illustré par Dali, son épouse Gala est présentée dans une coquille de noix, menacée d’écrasement par le pied de Lénine. Or Gala Dali fut d’origine tatare, comme la peuplade des 250.000 Tatars de Crimée, également opposée à l’intervention militaire russe. Par rapport à la crise, les politologues excluent une guerre civile, mais redoutent l’explosion d’un conflit ethnique. 4° Et puisque les analystes évoquent les réminiscences de la guerre froide, je me permets de rappeler un autre indice bizarre, mais néanmoins révélateur du destin prophétique de Salvador Dali. Sa ville natale Figueras est jumelée avec Berlin !

Ces repères apportent un nouvel éclairage à la prescience dalinienne par rapport aux mutations géopolitiques du XXIe siècle. On finira par comprendre que l’œuvre énigmatique de Dali constitue un fabuleux scénario du futur

Post scriptum . Pour donner à cette analyse un complément d'information, je joins une autre toile réalisée par Dali sous le titre éloquent :


"Hallucination partielle. Six images de Lénine sur un piano" (Dali, 1931)

Ce tableau montre le 1er Président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, dans une pièce obscure devant un piano à queue. Sur le clavier, on découvre six têtes incandescentes de Lénine, ancien chef de la révolution bolchévique de 1917. La réduction progressive de la tête de Lénine correspond à une extinction lente et progressive du communisme de type soviétique. Au fond, dans un placard entrouvert, se tient un monstre froid... Eltsine a démissionné le 31 décembre 1999 pour céder sa place à son protégé Vladimir Poutine.La prescience du visionnaire Dali est absolument flagrante. Nous sommes bien obligés de constater aujourd'hui, en 2014, que la Russie de Poutine est tentée de poursuivre les méthodes brutales et dominatrices héritées de feu l'URSS. CQFD.

Info : Roger Michel Erasmy, auteur du «Codex Dalianus» (Dali décodé) ● 10 mars 2014