Quand la malédiction du dollar est dépassée par la crise de l’euro… Le 15 septembre 2008, l’effondrement de la Banque américaine Lehmann Brothers avait déclenché la plus importante crise financière depuis 1929. Depuis trois ans, les hommes politiques du monde occidental nous promettent une sortie de crise imminente et le retour à la croissance. Ces boniments sont destinés à rassurer les populations inquiètes. En fait, la crise a pris une nouvelle épaisseur.

Survenue début 2010, la crise de la dette publique grecque allait marquer le début de la crise de la dette de la zone euro, qui fait trembler actuellement l’ensemble du système monétaire international. Le nouveau trouble planétaire résulte à la fois de la crise économique mondiale et de facteurs malicieux propres à la Grèce : endettement abyssal (proche de 150 % du PIB), énorme déficit budgétaire (+ 13 % du PIB) et manque de transparence des statistiques officielles, conçues autour de faux budgets et de bilans bidonnés. La corruption, la fuite des capitaux et la magouille politique, largement répandues en Grèce, ont accentué la situation désastreuse de ce merveilleux Etat méditerranéen.



L’HERMES DE DALI : SIGNAL DE LA CRISE GRECQUE


«L’Apothéose du Dollar», brossée en 1965 par Salvador Dali se distingue par la reproduction monumentale du profil de la figure mythologique de l’Hermès de Praxitèle, dont on sait qu’il fut pour les Grecs le dieu du négoce et celui des voleurs. Dans ce tableau emblématique consacré à la glorification de l’argent, le signal constitue pour le moins un avertissement prémonitoire. Il faut considérer également que la Grèce restera toujours le berceau d’Europa , dont Dali a annoncé en 1983 qu’elle serait enlevée ! Il fallait décoder le message. Les événements du XXIe siècle confirment les angoissants pressentiments daliniens. Voyons les faits.


"L'Apothéose du Dollar" (Dali,1965) (Du côté gauche le profil grec de l'Hermès)

En octobre 2009, suite aux élections remportées par la parti de gauche PASOK, le nouveau gouvernement grec a voulu réduire rapidement l’énorme déficit de 12,7 % laissé par la droite. La Grèce, membre à part entière de l’Union Européenne depuis 1981, n’était pas prête à assumer cette intégration contraignante. Dans le but de respecter enfin le pacte de stabilité et de croissance fixé par le Traité de Maastricht, le gouvernement de Georges Papandréou envisageait en janvier 2010 de ramener le déficit à 2,8 % en 2012. On mesure l‘aberration d’un tel défi politique. A force de décréter des mesures d’austérité drastiques sur fond de hausses des impôts et de gel des salaires, le gouvernement grec a suscité une cascade d’émeutes et de grèves générales. La Grèce fragilisée devenait une menace pour toute la zone euro.

Après d’interminables tergiversations, l’Union Européenne et le Fonds Monétaire International (FMI) ont décidé le 9 mai 2010 – jour de l’Europe ! - de se doter d’un fonds de stabilisation de 750 milliards d’euros pour intervenir. Il s’agissait d’éviter que la crise grecque ne s‘étende à l’Espagne, au Portugal et à l’Italie tout en rassurant les marchés financiers. Ces mécanismes de prévention de la crise n’ont pas fonctionné. Bien au contraire, les plans d’austérité successifs mis en place ont aggravé les troubles sociaux en engendrant des effets négatifs sur l’investissement et la croissance.

Depuis 2010, les plans de sauvetage s’accumulent en Grèce, où les grèves se sont multipliées. Le 21 juillet 2011, le sommet de Bruxelles annonçait, sous l’impulsion d‘Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, un second plan d’aide de 160 milliards d’euros. En réalité, rien n’a été fait sur le terrain dans l’attente de la ratification du plan par les 27 parlements des pays membres de l’Union. Compte tenu de la méfiance persistante, affichée par les marchés et les partenaires européens, les pires scénarios commençaient à circuler. La faillite de la Grèce n’était plus un tabou. Les 9 et 10 septembre 2011, les ministres des finances du G7, réunis à Marseille autour de Christine Lagarde, nouvelle directrice du FMI, appelaient timidement à la concertation autour de la relance pour conjurer le ralentissement économique. Le surlendemain, 12 septembre, les bourses européennes plongeaient, plombées par les banques, trop exposées à la dette grecque. L’impact d’un défaut de payement de la Grèce était devenu un cauchemar. Pour sortir de cette crise continue, le Bundestag allemand a voté le jeudi 29 septembre à Berlin l’élargissement du fond de stabilité FESF pour soutenir la Grèce. Le dimanche 2 octobre, la Grèce a fini par reconnaître qu’elle ne parviendrait pas à atteindre les objectifs fixés par ses créanciers. Conséquence de la nouvelle chute des bourses qui s'ensuivit, les ministres des finances de la zone euro se sont réunis dans l'urgence à Luxembourg le 3 octobre pour annoncer .... le report de leur aide financière à novembre 2011. Le même jour, la banque franco-belge Dexia annonçait son démantèlement.

De nombreuses banques sont en difficulté en raison de la dette publique des pays à la solvabilité fragile (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande, Italie…). Confronté aux attaques permanentes de la Bourse et à la défiance généralisée des clients, le système bancaire est profondément perturbé, livré aux conséquences incalculables du yo-yo causé par les spéculateurs de la planète. Dans l’opinion publique, cet exécrable climat d’incertitudes et de mécontentements s’est aggravé du fait des effets pervers des «affaires» impliquant les milieux douteux proches du pouvoir (les mallettes africaines, les rétro-commissions de juteux contrats d’armement, les enveloppes Bettencourt, etc).

La complication ponctuelle des problèmes d’ordre financier sur le plan européen, comme également les manigances corrompues des milieux politiques illustrent d’une manière flagrante les redoutables prémonitions de Salvador Dali.

LA CORBEILLE DE PAIN



Quand Dali peignait en 1945 en Californie sa plus fameuse «Corbeille de pain», il attribuait à cette œuvre une dimension hyper-explosive, pourvue de projections énigmatiques. L’œuvre fut choisie en 1948 comme emblème du Plan Marshall, qui avait pour but d’aider l’Europe sinistrée à se reconstruire après la seconde guerre mondiale. Retenez les circonstances catastrophiques de l’événement. La corbeille représente aussi l’espace circulaire et hautement stratégique de la Bourse, autour de laquelle se sont échangées les valeurs financières. On se souvient de l’expression éloquente du général De Gaulle, qui affirmait que «la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille». Les temps ont bien changé. En 1987, à Paris, la célèbre "corbeille" du Palais Brogniart a été remplacée par des terminaux d'ordinateurs. Et la suprématie de la finance mondialisée sur la politique est aujourd'hi le reflet du véritable pouvoir. Le tableau révélateur de Dali se trouve dans la salle du Trésor du Teatro-Museo de Figueras. A l’heure des épouvantables agitations boursières, il convient de noter que le croûton déposé dans la corbeille de Dali correspond à un gland de phallus coupé. Ce signe de rupture annonce également la fin du machisme et de la phallocratie.

LE CHEMIN DE L’ENIGME

En 1981, le peintre extralucide créa «Le Chemin de l’Enigme». Cette œuvre significative constitue une vision symbolique des fantasmes matérialistes des sociétés occidentales privilégiées, branchées sur l’enrichissement et la réussite à travers les perspectives (illusoires) d’une croissance permanente. La voie balisée de sacs bourrés de richesses mène vers l’horizon lointain d’un 7e ciel. Hélas ! Cette route prometteuse est désormais encombrée. La prémonition de Dali montre des sacoches qui explosent au milieu du chemin, déversant des trésors de pièces d’or bien mal acquises. Le signal est révélateur des faits scandaleux de l’actualité politique, marquée par des mallettes africaines et les valises de banques suisses apportées en catamini dans des officines parisiennes. Globalement, la tournure actuelle des «affaires» comme l’alarmante conjoncture économique et financière risquent de compromettre les rêves débiles du «toujours plus» bâtis sur les ambitions, le profit, les loisirs onéreux et un confortable pouvoir d’achat.

Les économies occidentales se trouvent dans un cercle vicieux. L'Europe constitue l'épicentre d'une crise historique, qui offre peu de perspectives rassurantes. Pour la Grèce, la sortie de l'euro serait un désastre économique avec des conséquences catastrophiques pour toute la zone euro. Les Etats-Unis - qui ploient eux-mêmes sous le poids d'une énorme dette publique - pressent l'Europe d'agir rapidement pour mettre de l'ordre dans ses divisions. Il faudra attendre le G20 du 3 novembre 2011 à Cannes (F) pour voir si les chefs d'Etat les plus puîssants du monde sont capables d'arrêter la tornade financière qui pourrait dévaster tout le système du captalisme planétaire. Dans l’optique de la redoutable année 2012, on est d’ores obligé d’appréhender des changements fondamentaux, qui nous amèneront à la prise de conscience lucide de ce qu’il est possible de vivre mieux autrement. Salvador Dali a compris avant tout le monde que l’humanité connaîtra une nouvelle raison d’être grâce à l’amour et la créativité.

Roger Michel Erasmy