Antonio Pitxot, directeur du Teatro Museo Dali, avec l'auteur Roger Michel Erasmy
devant «L’Apothéose du Dollar», tableau emblématique du Musée de Figueras

«L’Apothéose du Dollar» est le principal tableau prémonitoire créé en 1965 par Salvador Dali. L'oeuvre monumentale représente une vaste mise en scène éloquente annonçant des bouleversements historiques. Examinez de près la composition méthodique de cette œuvre prophétique. Parmi les figures représentées dans la toile, il y a le fumeur d’opium (d’Afghanistan), le monarque Louis XIV (alias Nicolas Sarkozy) maquillé en joueur d’échec. Ils sont entourés de Goethe, esprit éclairé de la culture allemande, de Vermeer de Delft, de Don Quichotte et de l’imposant personnage mythologique de Hermès, messager grec autant que Dieu des voleurs. Bref, tout le gotha culturel de l’Europe désunie est rassemblé ici. Dans l’œuvre révélatrice de Dali, l’Hermès constitue un préavis prémonitoire de la faillite de la Grèce, qui a tant ébranlé la zone Euro au printemps 2010 sur fond de comptes publics truqués et de corruption généralisée. La monnaie unique avait soudain chuté face au Dollar, passant en quelques semaines de 1,51 à 1,19 en juin 2010. L’Union Européenne a mis longtemps à réagir. Ce n’était qu’un avertissement. La guerre des monnaies engagée contre le yuan chinois sous-évalué va créer un redoutable désordre monétaire et pénaliser durablement la reprise économique.

L’avènement de Barack Obama n’a pas résolu les problèmes du dollar. La monnaie américaine a même aggravé les difficultés, qui continuent à menacer l’équilibre économique de la planète depuis 2008. Le G20, qui s’est tenu les 11 et 12 novembre 2010 à Séoul (Corée du Sud) a mis en évidence les profondes divergences existant entre les grandes puissances riches et les pays émergents. Tout le monde a compris que les nouvelles économies ont besoin de croissance et que les pays riches doivent se résoudre à une forte décroissance. Or, la Réserve Fédérale américaine (Fed) venait d’injecter encore 600 milliards de dollars dans les circuits financiers pour soutenir la reprise économique des Etats-Unis. Il suffisait de faire tourner la planche à billets. En réalité, il s’agit d’affaiblir le dollar pour doper la croissance molle et éviter la déflation en facilitant les exportations américaines. Les pays asiatiques, notamment, redoutent qu’un afflux brutal de capitaux spéculatifs allait créer de nouvelles bulles financières, qui vont mettre en danger la stabilité financière du monde.

Il semble utile, en la circonstance, de se souvenir de l'oeuvre "Mao-Marilyn", créée en 1971 par Dali pour illustrer la reprise des relations commerciales entre la Chine et les Etats-Unis d'Amérique. La vision symbolique présente Marylin Monroe, icône de la culture américaine, coiffée et habillée comme Mao, qui fut le fondateur de la République populaire de Chine et leader de la Révolution culturelle. Cette vision idyllique du rapprochement sino-américain paraît bien paradoxale aujourd'hui, si l'on connaît la réalité géopolitique de la "guerre des monnaies" que se livrent les deux titans de la planète. Le président Mao Tsé Toung avait reçu une copie de l'oeuvre lorsque le président américain Richard Nixon s'est rendu en Chine en février 1972 sur invitation de Mao. Trente-huit ans plus tard, on mesure la distance franchie dans les relations planétaires. A noter que l'huile-collage intitulée "Mao-Marylin" a orné la pochette du fameux Opéra-Poème "Etre Dieu", réalisée en 1974 par Salvador Dali à Paris avec le concours du studio Pathé-Marconi. Au-delà des bonnes intentions pacifistes, le devin Dali s'attribuait une vocation de visionnaire divin. Dont acte.

"Mao-Marylin", huile-collage, Salvador Dali 1971

Le G20 s’était fixé comme principal objectif la réforme du système monétaire international dans le but de corriger les déséquilibres économiques et d’inaugurer une nouvelle ère de coopération mondiale. A Séoul, on était très loin de la belle unanimité trouvée en 2008 pour lutter contre la crise. En fait, la guerre des monnaies, qui oppose la Chine et les USA sur le plan de l’appréciation des cours de change du yuan et du dollar, a dominé les débats du G20 de Séoul, que certains experts ont qualifié de «G vain». Le gigantesque sommet coréen a accouché d’une souris en se réduisant à un simple G2 mettant face-à-face la Chine et les USA. Finalement, le président chinois Hu Jintao est sorti grand vainqueur de l’affrontement, qui fait de lui l’homme le plus puissant du monde. Barack Obama, affaibli, a tenté de justifier la politique économique américaine en insistant sur le rôle moteur des Etats-Unis. En l’occurrence, il faut être réaliste. Depuis le début de ce XXIe siècle très conflictuel, un nouveau rapport des forces a bouleversé considérablement l’équilibre de la planète. Les pays émergents finiront par s’imposer face aux vieilles nations occidentales, usées par des décennies de suprématie industrielle sans partage.

Le G20 de Séoul fut, une fois de plus, marquée par des désaccords d’ordre économique, des querelles intestines et de profondes dissensions géopolitiques. Le prochain G20 se tiendra en novembre 2011 à Cannes sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui va devoir se pencher sur les causes du mal pour imaginer des solutions crédibles. On connaît les 3 priorités fixées par la France : réformer le système monétaire en réglant le double problème du dollar et du yuan, limiter la volatilité des cours des matières premières et agricoles, et améliorer la gouvernance mondiale. Vaste programme. En prenant la présidence du G20 pour un an, le président de la République a montré ses véritables ambitions : il veut se servir du G20. Si une nouvelle crise se produisait, notamment sur le marché des changes, il pourrait se présenter en ré-organisateur du monde et envisager les élections présidentielles françaises de 2012 sur des bases prometteuses. A ce stade-là, la reconduction inattendue de François Fillon comme premier Ministre fut révélatrice d’une stratégie destinée à rassurer les Français.

En novembre 2010, les sondages d’opinion ont attribué 29 % de confiance à Nicolas Sarkozy. Selon une enquête réalisée par Opinion Way pour «La Tribune», 61 % des Français doutent de l’efficacité du G20 et de la capacité de la France d’obtenir des résultats sur les priorités qu’elle avait définies. Le nouvel équilibre mondial n’est pas pour demain.


Gala avec Béatrice de Dante dans "L'Apothéose du Dollar" (Dali, 1965)

Pour en revenir au tableau de «L’Apothéose du Dollar», il convient de noter que Salvador Dali a également placé dans sa toile prémonitoire un couple paradoxal composé de la perverse Gala posant nue en compagnie de la vertueuse Béatrice de Dante. A elles deux, ces mystérieuses figures angéliques incarnent les clefs d’une sortie de crise tardive et franchement inattendue, qui est inscrite dans les arcanes des cent chants oniriques de la Divine Comédie de Dante. L’œuvre divinatoire de Salvador Dali a de bonnes sources.

En attendant la flamboyante Renaissance socio-culturelle pressentie par le clairvoyant peintre-prophète de Cadaquès, la crise mondiale se poursuit dans la plus totale des incertitudes, malgré les intentions floues du G20 et les efforts désespérés du président Barack Obama, très mal à l'aise face au chinois Hu Jintao, nouveau maître du monde..