Dali : de Berlin à New York

LES 2 MURS DE LA FRACTURE GEOPOLITIQUE

Tout a commencé en 1945 quand le 3e Reich a capitulé à Berlin. Adolf Hitler s’était suicidé le 30 avril 1945 dans son bunker et l’Armée Rouge envahissait la capitale allemande. L’émergence du nazisme dans les années 1930 fut une conséquence géopolitique de la grave crise financière de 1929, causée par le krach de Wall Street. L’Union soviétique occupait toute la partie orientale du territoire allemand, qui comportait Berlin. Suite aux accords de Yalta, les USA, la Grande-Bretagne et la France se partageaient 3 secteurs sur 4 de la l’ex-capitale du Reich, l’aidant à renaître de ses cendres. Malgré la pression soviétique, les alliés se sont maintenus en résistant au blocus, tandis que la zone russe, comme l’ensemble de la RDA (République démocratique allemande), accumulait les échecs cuisants d’une économie désastreuse, planifiée depuis Moscou.

"L'énigme d'Hitler" (Dali, 1939)

Le flair divinatoire de Salvador Dali avait pressenti depuis 1938 la catastrophe qui se préparait à Berlin. Regardez bien la toile prémonitoire de «L’énigme de Hitler», qui apporte une éloquente illustration aux visions daliniennes. Devant un paysage d’Apocalypse, le symbolisme expressif réunit autour d’un téléphone brisé (signal de la communication rompue) un parapluie flasque, attribut de l’impuissance mâle, et des chauve-souris incarnant la frayeur. Dans l’assiette creuse, une photographie de Hitler, une montre molle et quelques restes annonçant ….la fin des haricots ! Les mystérieuses toiles de années 1930 mettant en scène Lénine ont trouvé plus tard dans les délires américains autour des Marx Brothers un complément d’informations révélant autant de manifestations paranoïaques-critiques du subconscient. Il fallait décoder les signes !

A Berlin-Est, la faible adhésion au régime communiste avait rapidement évolué en mécontentement généralisé.. Entre 1949 et 1961, plus de 3 millions d’Allemands, essentiellement les élites intellectuelles et les jeunes diplômés, ont fui la RDA pour trouver à l’Ouest des emplois rémunérateurs. Pour arrêter cette hémorragie pernicieuse, qui menaçait l’équilibre économique et social, l’idée du mur s’est concrétisée dans la nuit du 12 au 13 août 1961. Il fallait verrouiller Berlin-Ouest pour empêcher les citoyens dépités de partir. Pendant 28 ans, la population subissait –sous le contrôle rigoureux de la STASI– le contraignant régime communiste. En 1989, à l’occasion du 40e anniversaire de la RDA , l’exaspération atteignait son comble. La venue de Gorbatchev incitait des centaines de milliers de citoyens à descendre dans la rue pour manifester leur ras-le-bol. La contestation populaire enflait en octobre, obligeant le pouvoir communiste débordé à décider des mesures d’assouplissement des voyages à l’étranger. Dans la soirée du 9 novembre 1989, le Mur de Berlin s’est ouvert miraculeusement sous la pression du peuple révolté…. L’événement sonnait la fin de la guerre froide.

Vingt ans après, le monde libre est traumatisé par le désastre financier créé par les banquiers de Wall Street. On connaît les coupables : l'ultra-libéralisme et l'idéologie de la croissance, également adoptés par les pays de l'Est débarrassées du communisme. La panique générale déclenchée en 2008 par la crise financière a obligé les Etats à injecter des centaines de milliards d’euros ou de dollars pour éteindre l‘incendie et sauver le système bancaire. On attend toujours les résultats de ces faramineux plans de sauvetage. Nous vivons une crise de civilisation causée par le culte de l’argent, la cupidité, la corruption et l’obsession de la consommation. Les maîtres du monde, membres du G20, doivent maintenant faire face à 3 crises : financière, alimentaire et climatique. Les problèmes s’aggravent et les inégalités se creusent. Alors que les banques affichent à nouveau des statistiques euphoriques pour annoncer une «nouvelle croissance» (?) et que la bulle spéculative gonfle, les chiffres du chômage atteignent des records historiques. Il y a de quoi s’inquiéter à propos de Wall Street et du mur de l’argent.

"Solitude paranoïaque-critique" (Dali,1935)

Face à l’exaspération, il faut redouter une explosion humaine et sociale. Les destins brisés et les entreprises ruinées, bref des millions de gens désespérés, illustrent l’ oracle de Karl Marx, qui avait dénoncé en 1844 les vices du pouvoir de l’argent, «prostituée universelle». «L’Apothéose du Dollar» brossée par Dali se confirme. Curieusement, la ville natale du , Figueras, est jumelée avec Berlin, district de Neukölln, qui se situait le long du «Mur de la honte». (Voir le billet N° 36 du 18 octobre 2009). L’autre mur, peint en 1935 par le visionnaire catalan, montre un rempart ruiné, bâti sur l’épave d’une voiture automobile dégradée envahie par la végétation luxuriante de la nature. Voilà la «solitude paranoïaque-critique», qui préfigure un grand chambardement. ■

9 novembre 2009 ● Roger Michel Erasmy, auteur du «Codex Dalianus»